La Roulotte d'Anastasia

Notre sagesse est douce comme le miel, goûte et comprends.

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Incongruité détectée. Examen. Du côté du lac opposé au camp des Tziganes, il y a une clairière. On y trouve une roulotte vardo typique. Tout autour, la forêt bruisse du souffle de l'automne tandis que les ombres s'allongent. Et pourtant, la roulotte est nimbée d'été, de musique douce, de chaleur et de fleurs épanouies, une atmosphère douillette et lumineuse qui contraste avec la forêt sombre.

La forêt est ancienne. La roulotte l'est plus encore. C'est la maison d'Anastasia la devineresse, mais elle n'en est pas propriétaire, d'ailleurs aucun mortel ne l'est. Elle appartient aux Vântoase, les esprits féminins et capricieux de l'air et des voyages, bien connus des Roumains. Le temps et l'espace s'ouvrent en frissonnant sous leurs caresses.

Depuis toujours, les Vântoase ont leur devineresse liée à la lune : jeune fille, mère ou veille bique, elle leur appartient. Elle est liée aux esprits du vent estival. La relation est complexe, et certains la trouveraient cruelle. La devineresse est un moyen d'expression, une langue de chair pour ceux dont le phrasé est une douce brise. Elle interprète leurs révélations aériennes.

La roulotte est la clause même du pacte. La femme bénie y reçoit ses visions, et elle l'emporte là où les Vântoase désirent qu'elle soit.

"Anastasia !" disent le vent du sud et le vent du nord et le vent de l'ouest et le vent de l'est. Ils l'appellent la voyante des jours sombres. Nous avons vu la fille bien avant que les Vântoase ne la convoitent. Enfant, elle avait le don de clairvoyance. Sa grand-mère, sa baba, lui avait transmis des secrets plus anciens que les arbres antédiluviens. À l'âge de quatorze ans, elle s'enfuit de sa maison Târnaveni pour échapper à un mariage et entame une vie de nomade qui allait durer des décennies.

Elle avait un don, mais elle ne l'avait pas demandé. Sa langue de chair révélait des secrets hors du temps. Les enfants du miel veulent connaître leur sort, mais ils sont rarement prêts à l'entendre. L'avenir est tissé de vérités disgracieuses et les clients d'Anastasia ne reçurent pas toujours avec amabilité les secrets éprouvants dont elle leur parla. Elle apprit donc à taire son son.

Le temps passe. Les kilomètres défilent. Il y a dix ans, Anastasia était dans un ashram du nord de l'Inde, quand elle rencontra une vielle femme. Elles se comprirent très vite, et une amitié immédiate s'installa entre elles. Son aînée rassura Anastasia sur le fait que son don était le signe qu'elle avait été choisie pour accomplir de grandes choses.

Elle eut une vision d'Anastasia, dans un bassin d'eau et dans la fumée d'un feu. Elle vit la roulotte et ses propriétaires invisibles. Ces esprits avaient choisi Anastasia pour être la prochaine gardienne de la roulotte. L'aînée raconta tout à sa cadette.

Anastasia reçut la roulotte, puis les visions. La sagesse est douloureux, enfant du miel, et celle d'Anastasia est immense. Ballottée par les vents et la prophétie, elle erra, sentant la brise la pousser vers sa terre natale. Les visions se changèrent en une amère prophétie : "Le jour où la Chouette, l'Aigle et le Dragon s'élanceront de concert et que l'Œil fera s'avancer les Champions, le Règne Sombre s'achèvera".

Anastasia revint au pays. Elle rencontra les Tziganes et les accompagna jusqu'à la vallée cachée dans les monts Custurii. Elle sait qu'elle y est à sa place. En ce moment même, elle est assise dans sa roulotte, réfugiée dans une agréable bulle de chaleur, et elle tâche de ne pas trop penser à ce que les vents gémissants lui annoncent pour bientôt.