La Trêve
Notre sagesse est douce comme le miel, goûte et comprends.
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Les trêves secrètes sont omniprésentes. Tout autour de vous. Chaque nuit il s'en produit, quelque part. Dans une chambre, des parents calment leur progéniture apeurée, lui assurant que les monstres n'existent pas. Elle s'endort, mais s'éveille aux heures les plus sombres de la nuit pour voir ses parents accroupis sur le sol, occupés à conclure des pactes avec la voix qui sort de sous son lit, à la seule lueur du ver luisant qui lui sert de veilleuse. Elle dit "mieux vaut payer un peu que tout perdre".
On dira peut-être que le monde normal doit négocier avec le monde surnaturel.
Derrière ces mots se cache une illusion. Il n'existe qu'un monde, enfant du miel, le monde secret. Vos espèces n'en occupent qu'une portion minuscule, qui flotte sur une île d'ignorance en proie à l'érosion. L'eau est noire et agitée.
Certaines trêves sont plus anciennes que les autres. Dans le comté de Bacas, où les mythes arpentent la forêt d'une vallée lointaine, les humains ont passé avec les êtres surnaturels un accord qui a tenu pendant six siècles.
Activation des histoires secrètes.
Ils ont conclu cette trêve peu après l'éviction de Mara, la reine vampire. Cucuvea, la femme chouette, invita tous les habitants, qu'ils fussent normaux ou surnaturels, à un grand rassemblement. On se réconcilia, et un respect mutuel s'installa.
Quelle ménagerie ! Tant de phylums et de familles surnaturelles ! Des êtres fées, des nymphes et des esprits sylvains côtoyaient des moroï, des pricolici et des capcaun. Les uriasi habitaient les montagnes, les valva paei vivaient cachées sous les eaux de leur petit lac et les humains se serraient les uns contre les autres dans leurs villages et leurs fermes. L'équilibre fragile était préservé.
Le comté de Bacas devint le refuge d'un nombre croissant d'exclus. Ils arrivaient en rampant, en volant ou en bondissant, et leur nombre ne cessait d'augmenter à mesure que le monde leur devenait inhospitalier.
Depuis la nuit des temps, la chasse à l'homme avait été dans l'ordre naturel et surnaturel des choses. Les habitants de la vallée surent ce qu'ils avaient à faire. La trêve exigeait l'arrêt de toutes les agressions inutiles mais permettait à toutes les créatures de conserver ce qui était à la base de leur identité : leurs langues, leurs dents et leurs griffes.
Nous étions là. Nous avons vu. Nous avons pesé le poids des conditions de la paix : quelques jeunes hommes revenaient à Fata Padurii, chaque année ; à l'occasion, un voyageur égaré sortirait couvert de bleus et de sérieuses égratignures d'une danse avec les lele ; certains seraient assez fous pour aller vagabonder alors que les strigoï et les pricolici seraient sous l'emprise de la lune rousse. Tout a toujours un coût, à chaque lot son prix. Plus le principe est simple, mieux il fonctionne.
Cela dura jusqu'à ce que les chasseurs deviennent des proies.
Il y a quelques années de cela, ce fut au tour des êtres surnaturels de disparaître à une fréquence croissante. Leur faune s'amoindrit, emportée par une main inconnue. Une tempête de protestations s'éleva dans les rangs des créatures paranormales. Elles accusèrent les villageois. Les humains se défendirent d'être à l'origine de ces méfaits. Cucuvea tenta de préserver la paix, rappelant à tous l'existence de la trêve.
Plus d'une créature magique s'aventura hors de la forêt, bravant les terres inhospitalières de l'extérieur. Celles qui restèrent devinrent méfiantes, brutales et impitoyables envers les humains soupçonneux. Quand le lion se plante une épine dans la patte, aucune souris n'a envie de venir l'en ôter. Il n'en ressort que de la douleur et des cris.
Bientôt, des hordes de vampires féroces arrivèrent, suivies par les Tziganes qui se donnent le nom de Draculesti. Nombre des créatures de la forêt se souvinrent des persécutions dont elles avaient souffert aux mains de ces chasseurs de monstres. L'oublie était impossible, le pardon inacceptable. Les relations se tendirent, et la trêve s'effilocha.
Pourtant, les Draculesti ignorèrent les créatures de la forêt sombre. Avec un peu de dédain et une meilleure maîtrise de leurs humeurs, ils concentrèrent leurs efforts sur leurs ennemis communs : Mara et ses nuées de morts-vivants. Le désespoir peut mener au pandémonium, mais il peut aussi ramener à la raison. Les chasseurs de monstres et les êtres surnaturels comprirent qu'ils devraient unir leurs forces contre l'engeance vampirique.
Activation de la matrice des possibilités.
Le carnage est-il le seul avenir possible, enfant du miel ? Si les vampires l'emportent, tous mourront. Si les vampires sont vaincus, ce qui reste de la trêve s'envolera, et les survivants s'entredéchireront. Que feras-tu ? L'appréhension est insoutenable.
mis à jour le 13 August 2013