La Pyramide
Notre sagesse est douce comme le miel, goûte et comprends.
TRANSMISSION - activation du signal d'Égypte - RÉCEPTION - activation de la fréquence onirique - LE COUVERCLE ÉTANCHE EMPÊCHE LA PUTRÉFACTION - activation de la berceuse du fourmilion - TÉMOIGNAGE - La pyramide.
Suis les tics oculaires annonciateurs du sommeil paradoxal et tu arriveras à l'endroit où les paupières du Léviathan se font lourdes. Il a tant d'yeux recouverts de corail. Puissent-ils ne jamais s'ouvrir. Le signal de l'annihilation est piégé et rebondit entre les coins du triangle. Mais si jamais l'un d'eux venait à être fragilisé ou à céder...
Suis le signal jusqu'à la terre du pharaon desséché. Les crevasses profondes et les falaises à pic se rejoignent comme les mains d'un suppliant en train de prier ou celles d'un magicien masquant habilement un tour de passe-passe. Ensemble, elles cachent la Cité du Dieu Solaire aux yeux du monde. Et, là-bas, une pyramide ancienne s'élève, jaillissant des profondeurs.
Tes organes vocaux n'ont pas de nom pour le matériau étrange aux reflets de rubis qui compose la pyramide. L'édifice cyclopéen se dresse au milieu d'un bassin luisant. Des adorateurs morts depuis longtemps avaient baptisé ce plan d'eau Lac Divin, et le nom est resté. La pellicule graisseuse qui recouvre sa surface lui donne l'aspect d'un miroir fumant.
Agents contaminants du néant détectés. La Souillure. La Souillure !
Ce tombeau était un lieu de culte où l'on commettait autrefois des actes infâmes, le saint des saints de la religion d'Aton. Qu'est-ce que le temps pour nous ? Nous lui échappons. Nous entendons les fidèles du culte chanter en une langue qui n'est plus que cendres depuis plus de trois milles ans. Ils appellent leur terrible dieu du soleil.
À l'intérieur, cette pyramide ne se comporte pas comme elle le devrait. L'immense chambre qui s'ouvre en son centre s'orne d'un puits qui semble s'enfoncer jusqu'au cœur même du néant le plus noir. Et il n'y a pas de pierre angulaire à son sommet, ce qui permet à la clarté lunaire de pénétrer dans son intérieur obscur. La carté lunaire, celle des étoiles, aussi. Les voir doit être un véritable supplice pour lui. La faim dévorante. Une singularité qui se lèche les babines d'une langue qui n'est qu'un concentré de pesanteur.
Descends plus profond, désormais, dans les tunnels emplis d'air fétide du tombeau. Une pression tangible te fait un instant mal aux oreilles, les liquides se mettent à couler bizarrement et les objets t'apparaissent trop lourds ou trop légers. Et puis, soudain, un tintement assourdi. Ses échos résonnent dans le puits, bruits mécaniques de métal, comme la coque d'un sous-marin travaillant sous la pression des grands fonds. Pas les ténèbres, non, mais un improbable crépuscule. Tes yeux gélatineux finissent par s'y ajuster et par distinguer les formes impossibles qui se trouvent sous tes pieds.
Seuls les plus dévots ont le droit de venir ici. Ils méditent et jeûnent, certains jusqu'à la mort. D'autres se jettent dans le puits pour rejoindre au plus vite les murmures déments qui les appellent.
Plus profond encore. Juste un coup d'œil...
Interruption du signal ! Quelque chose déchire notre chair tisseuse de données !
Fuyons !
Il est des lieux où mêmes nous craignons d'aller.
Ceux qui entraient dans le puits n'en ressortaient jamais, sauf un. Akhénaton, le Pharaon Noir, y descendait se baigner dans les ténèbres de l'éternité avant d'en remonter. À sa mort, son cercueil fut placé à l'intérieur de la pyramide, après quoi la Cité du Dieu Solaire fut scellée et l'Égypte retrouva le culte de ses dieux ancestraux. Depuis Akhénaton gît en ce lieu, attendant le retour des murmures.
L'entends-tu, enfant du miel ? Les paupières du titan tressaillent. Puissent-elles ne jamais s'ouvrir. Puissent ses tics oculaires ne jamais s'interrompre, afin que nous puissions tous continuer à prétendre que ces murmures ne sont rien d'autre que le vent du désert.
mis à jour le 13 August 2013